3h59’56’’, on ne pouvait faire mieux !

Par Jacques Cazaméa

 

Moins de quatre heures au marathon était le challenge que nous nous étions fixés avec Jacques Maillard. Avouez que nous avons fait très fort ! Mais à quel prix, car cela n’a pas été une ballade de plaisir, en tout cas pour moi : j’ai porté ma croix sur les 7 derniers kms, mais sans doute y avait- il une bonne raison ! Elle est évoquée en fin de cet article. A l’heure où je jette ces quelques mots sur le site, soit environ 48 heures après l’épreuve, je me déplace encore sur le plat en claudiquant et je rampe dans les escaliers. En bref j’ai des poteaux à la place des gambettes.

Résumons un peu la journée du 7-4-13. Réveil 0600h. La nuit a été moyenne, comme celle de veille de grands rendez-vous, ces journées où vous savez que vous allez devoir combattre, vous battre contre un adversaire, votre patron, votre DRH ou même un véritable ennemi. La veille, des amis étrangers qui s’étaient déclarés l’avant- veille à Paris sont venus diner à la maison : on ne refuse jamais les amis, surtout lorsqu’ils viennent de loin. On a sabré le champagne, une larme pour moi, et ouvert un Bordeaux, deux larmes pour moi, et vers 2330h ils se sont éclipsés gentiment pour me laisser dormir un peu.

0600h donc réveil, température extérieur 1°C, décidément cet hiver n’en finit pas. Vent faible  du nord et temps de curée. Voilà donc un avantage pris sur l’adversaire. Au club, l’entrainement s’était principalement déroulé sous pluie et neige, voire les deux simultanément ! L’approche de l’adversaire en sera plus aisée.

0655h Rendez-vous à  la gare RER de St Ger. Une dizaine de copains-copines du Club sont présents. L’ensemble présente une apparence décontractée, mais on sent néanmoins que les sommeils ont été superficiels et que chacun est déjà concentré sur la bataille qu’il va mener. Dans le compartiment avec Jacques nous sommes assis avec des pointus de l’épreuve : Fabien et Stéphane… qui visent les 3h30. Fabien nous chahute un peu, comme des bizuths. Je me console en me disant qu’ils ont de la chance d’être jeunes !

0715h – Nous rejoignons les vestiaires sur l’avenue Foch, illustre maréchal. Le ciel est bleu : toutes les conditions sont effectivement remplies  pour pouvoir porter la curée à l’ennemi. Le vent pince néanmoins un peu. Il va falloir se protéger jusqu’au départ pour économiser  la moindre calorie. Les orteils refroidissent. Fabien s’est pommadé avec du baume du Tigre. Nos vessies nous rappellent qu’elles participent au cycle d’hydratation des moindres parcelles de notre corps. Les files devant les urinoirs sont si longues que nous préférons arroser quelques troncs qui ornent la grande avenue,  sous l’œil  de quelques passants médusés.

0815h – A défaut d’aller au Fouquets qui doit être difficile d’accés, nous tapons un break au café les Maréchaux, illustres stratèges du combat tactique, avec Jacques afin de se protéger du froid et de boire un thé bien chaud.
 
0830h – On sort du bar et là surpise ! Une première bataille se joue : celle de la rejointe du sas de départ : un vrai parcours du combattant sur le trottoir des Champs. La foule compacte et figée rend notre déplacement compliqué et  hésitant car nous craignons de nous perdre entre nous. Nous devons escalader des barrières de deux mètres de haut au risque d’y laisser nos bijoux de famille, encore bien précieux à notre âge avancé. Une fois dans l’enclos et parmi ces milliers de soldats, nous devons, comme au Pentagone, montrer notre code secret à cinq chiffres qu’arbore notre torse ainsi que la couleur associée car c’est elle qui détermine notre compagnie d’intégration. La nôtre est violette car Jacques a réussi à me convaincre il y a déjà quelques mois de nous inscrire dans la cohorte des 3h45. Ouf ! on y est et il est pile 0845h. Les premiers combattants s’élancent, ces fameux éclaireurs que l’ennemi ne voient jamais, qui courent comme des gazelles et passent entre les balles. Tiens ! Nous tombons sur Madeleine, Stéphanie et Valérie. Nous échangeons quelques impressions, et nous nous tirons mutuellement le portrait avec mon iphone (cf les photos jointes).

0915h – ça y est la bataille commence pour nous, nous passons sous l’arche du départ. L’énorme boudin gonflé ressemble à une bouche qui déverse des combattants sur le Champ de bataille. J’appuie sur le bouton de ma montre. Me voilà parti avec quelques grenades autour de ma ceinture, quelques munitions énergétiques dans la doublure de celle-ci, le casque sur les oreilles et les gants emmitouflant mes mains, toujours à la recherche d’économie calorifique. Le sol est jonché de douilles de munitions énergétiques et de vêtements abandonnés. La bataille a vraiment débuté. Tous les soldats ont pris la même direction, décidés, surs, volontaires pour arracher cette victoire, celle de l’accomplissement du marathon.

1006h – Nickel Chrome ! L’ambiance est super sympa. Jacques siffle et chante. La montagne à gauche nous rappelle que nous sommes à Vincennes. Break à droite, nous nous jetons sur deux platanes qui ont eu la bonne idée d’être là, pour nous alléger du thé ingurgité chez les maréchaux.On se persuade avec Jacques que les 50 secondes perdues, vont au bilan nous faire gagner du temps (un copain expert nous a expliqué qu’un kg de moins à transporter sur la distance permettait de gagner 5 minutes).  Je vous laisse le soin de calculer le gain temporel acquis par le rejet de 250 g d’eau , en défalcant bien sûr le temps de la pose pipi.

1045h – voilà 1h30 que nous trottons. Tout baigne toujours. Pas d’adversaire. Seule la population locale est là et nous applaudit au passage. Certains orchestres jouent quelques sérénades pour nous aider à avancer dans notre quête. Jacques est joyeux. Il discute avec d’autres combattants. Pour ma part, je reste sérieux, un sérieux prémonitoire.

1112h – Nous passons sous la banderole du semi. Nous sommes largement dans les temps. Depuis le début nous avançons à 5’20’’/km, bien au dessus des 5’40’’/km que nous impose l’objectif des 4 heures. Cette bataille parait facile. Je glisse à Jacques que l’on pourrait tabler sur un 3h54, voire moins  si nous maintenons l’allure et accélèrons sur les tous derniers kms.

1137h – km26 -  Nous passons sous un tunnel. Je me tords violemment la cheville droite en marchant sur une bouteille en plastique. Ca y est, l’ennemi  se découvre sournoisement mais je ne l’attendais pas là. Il a posé queques mines sur le champ de bataille. Jacques m’empêche de tomber après m’avoir entendu hurler. Il me conseille de marcher. Je poursuis la course, ralentissant un instant pour absorber la douleur qui finalement s’estompera dans les minutes qui suivent. Il faut redoubler de vigilance. A la sortie du tunnel, ça monte. Je commence à sentir des piquotements dans les mollets. L’ennemi que je redoutais, c’est celui là, celui qui tire dans les jambes des soldats, ici avec des billes en plastique.

Km30. L’enemi est toujous invisible. Ce ne sont plus des billes en plastique mais du calibre 4,5mm de carabine à air comprimé qu’il tire, harcellant mes mollets. Le plomb s’incruste dans la chair et allourdit mes jambes. Je dois réduire ma vitesse pour maintenir mon rythme cardio. Jacques est à côté de moi, un poil en avant, comme à l’entrainemnt. Il commence à m’encourager car la vitesse réduit. Nous sommes dans les 5’40’’/km soit pour moi à la vitesse idéale. Pas question d’accélérer au risque de rester là, stoppé, comme déjà de nombreux combattants qui se contorsionnent dans tous les sens sur le bord de la route afin de se dégager de cette masse de ferraille qui les a plombés sur place.

Km35. Encore 7 kms. Cette distance ne représentait rien à l’entrainement. Une bagatelle de 35 à 40 mn. Mais ici, sous les tirs d’armes aux calibres grossissant, cela devient très dur. C’est du 9 mm. Mes jambes sont trop lourdes, trop douloureuses par cette chair meurtrie. Jacques ne sait comment m’encourager. Il sent que le seuil des 4 heures devient compromis…et moi avec. J’ai envie de marcher et le lui dis. « Vas y seul Jacques, on se retrouve à l’arrivée », mais il redouble d’encouragement. « C’est rien, il ne reste plus que 7kms », « Accroches toi, ne ralentis pas » « Imagines toi au désert de Retz  en retour vers le Club »….

Km36-40. Ma vitesse décroit petit à petit pour aller au-delà des 6’/km. Jacques est toujours là : sa loyauté m’impressionne. Il continue à m’encourager, lui l’invulnérable. Il court comme Jésus sur le lac de Tibériade… Mais comment fait il ? Quelle potion magique a t il avalée ? C’est un véritable gaulois ! Un ami d’Obélix ! Est il tombé dedans quand il était petit ? Il m’apporte des quart de bananes, des bouteilles d’eau, afin de m’aider à résister contre cet ennemi qui persiste à me tirer dans les jambes de plus en plus violemment. Malgré la souffrance, je reste néanmois lucide, regardant ma montre à chaque km pour calculer la vitesse dedéplacement idoine qui me permettra de passer sous la barre des 4 heures, sachant que les 195 derniers metres devront être réalisés en moins d’1’, comme à l’entrainement.

1308h - Km41 -  Il est impératif de parcourir les 1195 m restant en moins de 7mn. Le poids de mes jambes ne sera-t-il pas trop handicapant. Je cours les yeux plissés, fermés par moment. Après a voir été mon ravitailleur et mon coach, Jacques devient mon sponsor : il continue à miser sous les 4 heures. Je ne dois pas le décevoir. J’entends à droite et à gauche la foule qui crit à l’encouragement de ces pauvres combattants rescapés qui en ont bientôt fini avec cet intense effort. Pour moi c’est un supplice depuis de trop nombreuses minutes ;

1314h – km42 – Enfin l’arche boudiné apparait. Je découvre la même bouche qui a déversé les combattans sur le champs Elysées et qui les avale désormais à l’entrée de l’avenue Foch. Cela semble gagné car ma montre me dit que je dispose de plus  de 45’’ pour parcourir les 195 derniers mètres. J’allonge ma foulée pour assurer. A la seconde grande foulée  je me prends une violente rafale de Kalachnikov dans la cuisse gauche. L’ennemi est encore là, en embuscade. Il tire même dans le dernier virage, celui qui précède la victoire. Ma jambe se transforme en béquille de plomb. Jacques m’empêche de tomber, me repositionne droit et me conseille de marcher. Accroché à mon chrono, je reprends un peu de vitesse, claudiquant comme un pinguoin pour arracher cette Victoire sur cet ennemi qui ne s’est jamais découvert durant ces 3h59’56’’ ! Nous nous étreignons. Jacques l’invincible est ravi aux anges : il a parcouru son premier marathon et a permis à un ami, par sa conviction et sa force morale d’atteindre  l’objectif que nous nous étions fixé collectivement, même s’il a toujours rêvé de le parcourir en 3h45’ ! Merci encore Jacques pour ta loyauté et tes encouragements, et livres- toi totalement au cours de la prochaine bataille, car tu as une âme et les qualités d’un éclaireur.

Dénouement : je savais que cet ennemi invisible n’était autre que moi-même ! Il est impossible de  savoir si les effets de la Spiruline, de la Gelée Royale, du Gynseng et autres kilo de pates ingurgitées ces dernières semaines ont contrecarré les quelques écarts réalisés à l’occasion de nombreuses réunions familiales au cours du dernier mois de préparation. De même le rhume et le dérangement gastrique de la dernière semaine n’ont certainement pas favorisé un fonctionnement optimum des muscles sur cette longue distance. La raison du calvaire des 7 derniers kms réside peut être là. Mais je ne le saurai jamais. A chacun son métabolysme et à chacun la maitrise de sa propre hygiène de vie.

Et je dois aussi une fière chandelle à Michel notre entraineur, qui me voyait parcourir la distance en moins  de 4 heures !  Ta fiche d’entrainement m’a permi d’impressionner de nombreux proches, non sans fiereté. Elle restera dans les archives de ma vie !

 
Foulée Royale - 9 Juin
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