Paris Versailles

Par Romain Hude

 

 

 

Dimanche 28 septembre 2014, 9h57, quai Branly, au pied de la tour Eiffel.


Tandis que 25000 furieux s’entassent  dans des sas surchargés et pris d’assaut depuis 8h du mat, nous sommes environ 500 veinards à s’installer tranquillement sur la ligne de départ. Le peuple de Paris derrière, la noblesse versaillaise devant, comme à la grande époque. Je côtoie en cet instant la bonne société de la course à pied : des championnes et champions kenyans, l’élite du fond français, quelques anciennes gloires en retraite, comme Dominique Chauvellier ou Philippe Rémond. Que du beau monde.
Je dois bien avouer que ce privilège de pouvoir partir dans le premier sas n’a pas été pour rien dans ma décision de participer à cette grande classique.

A mes côtés, les Rousseau brothers rivalisent de pessimisme sur leur forme du moment et annoncent des chronos bien modestes : 1h10 pour Nico, l’ainé, et 1h05 pour Benjamin, le benjamin. Nous verrons cela à l’arrivée. Quant à moi, j’affiche un objectif à 1h02 mais caresse secrètement l’espoir de me rapprocher de l’heure. La météo ne me procurera aucune excuse aujourd’hui puisqu’il fait très beau et pas trop chaud.
Teddy Riner, en guest, libère à 10h pile cette première vague de compétiteurs acharnés et bien décidés à gagner la préfecture des Yvelines plus vite qu’en voiture un soir de semaine.
Après à peine 200m je me laisse embarquer par Seb Launay, parti juste derrière nous  avec les groupes entreprise, sur un rythme que j’estime un poil rapide. En effet, ça nous amène en 3’20 au premier kilomètre. Je le laisse prendre le large sans regret.


Malgré son nom, le parcours de cette course n’a rien de classique, avec son kilométrage pas trop standard et son profil altimétrique farfelu. Mais pour le moment c’est très plat, tout en lignes droites, si bien que je vois évoluer devant moi un long serpent humain dont la tête et les crocs acérés sont déjà des petites silhouettes dans le lointain. La bête monstrueuse avale sur son passage quelques concurrents malvoyants (mais en très belle forme), parti en éclaireurs, ainsi que des goélettes dont les occupants affichent une joie et une fierté communicative. Je me dis au passage que ça aurait de la gueule, en arrivant à Versailles, si les pousseurs étaient en costume d’époque.

Un peu avant le 6ème kilomètre je sens la tension monter d’un cran dans les rangs. La célébrissime côte de Gardes est en vue et, il vaut mieux le savoir avant de l’attaquer tout de go, elle est très longue. Un peu plus de deux kilomètres en fait. C’est cette belle grimpette qui fait la réputation de Paris-Versailles, et il y a autant d’avis sur la bonne façon de la gravir que de concurrents dans la course. Je suis, à mon grand regret, un très mauvais grimpeur, mais on ne cesse de me dire que ce n’est pas une fatalité. Prenant au mot ces conseilleurs je me suis astreint depuis début juin à un entrainement intensif en côte. J'ai même trouvé près de chez moi une côté de longueur et de dénivelé similaire à celle de PV et j’y ai effectué une séance chaque semaine. Bref, je suis paré !


Malgré tout, on n’a jamais vu une chèvre devenir carnivore, et je perds beaucoup de temps et d’énergie dans cette ascension interminable. Le sommet est matérialisé par une banderole, comme sur le tour de France ; c’est le milieu du parcours et le début de la partie champêtre, ou plutôt sylvestre. Je le prends comme un bon signe : la grosse côte est passée, l’air pur laisse place aux gaz d’échappement, je vais pouvoir dérouler ma foulée et rallier le château en deux temps trois mouvements. Je trottine au milieu des pâquerettes et des petits lapins, tandis que de jeunes nymphes m’acclament en jetant des pétales de rose sur mon passage… Bon, en fait j’ai mal aux jambes, les pâquerettes sont des tables en plastique et les nymphes sont des scouts de France qui brandissent des bouteilles d’eau. Le ravito, quoi.

La suite du parcours est assez vallonnée, et me donne l’occasion de comprendre que je suis tout aussi mauvais dans les descentes que dans les côtes. Dans le grand toboggan du 11ème kilomètre un petit groupe me mets un vent phénoménal ! J’ai l’impression d’être un cul-de-jatte dans une finale de 1500m olympique. Parmi ces fins et célères athlètes se trouve Benjamin Rousseau, qui  m’encourage au passage. S’il est sur les bases des 1h05 annoncés alors ma situation est bien pire que ce que je pensais. Mais d’après mon sextant et ma lunette astronomique, non, je suis juste un peu à la bourre … et lui en pleine bourre.
Les derniers kilomètres sont assez pénibles. Je me sens comme le petit lapin rose dans la pub, celui qui n’a pas les bonnes piles. J’essaie de faire bonne figure en passant devant les photographes, dans la dernière ligne droite ; je me demande bien de quoi j’aurai eu l’air sinon, quand je vois la tronche de déterré que je fais sur les fameux clichés. Allez hop c’est terminé : 1h03mn10s. J’espérais mieux au départ, mais je m’attendais à pire il y a encore quelques minutes.
Benjamin m’a finalement devancé d’une grosse minute, et Nico n’était pas très loin derrière moi. La modestie a payé.

La statue du roi soleil, tout au bout de l’avenue de Paris, semble regarder avec un certain amusement cette armée de saltimbanques aux tenues chamarrées. Il est sur son cheval, il a tout compris.

 
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