Paris, par Mireille

Sous la barre des trois heures…

Par Mireille Mull-Jochem


 Mireille
« La sagesse, c’est d’avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre lorsque’on les poursuit » Oscar Wilde.

Chaque victoire sur soi-même est un moment important. J’ai ressenti l’envie d’écrire mes impressions sur ces instants particuliers, sans doute pour m’aider à ne pas les oublier.

J’ai encore précisément en mémoire l’émotion que j’ai ressentie lorsque j’ai franchi la ligne d’arrivée de mon premier marathon. C’était en 1993, à Paris, après un peu plus de quatre heures de course.

Je ne me souviens pas en revanche quand, ni dans quelles circonstances, j’ai osé imaginer que je pourrais, un jour, courir la distance en moins de trois heures. Ce rêve était là, tout simplement, dans un petit coin de ma tête, coincé entre le cent bornes et le Marathon des Sables.

Dimanche 5 Avril 2009, 5heures 45 : pour être honnête, je manque franchement d’entrain. En principe pourtant, les matins de course, une montée d’adrénaline me booste hors du lit ! J’attaque mes petits rituels : thé au citron brûlant, gatosport citron ginseng, tartinage des pieds à la crème Nok, inscription au feutre des temps de passage sur l’avant-bras.

Même si mon entrainement spécifique est un peu juste, j’ai opté pour le même plan de course que l’an dernier : 4 minutes 15 au kilomètre, ce qui doit m’amener au semi en une heure 29 et à l’arrivée en trois heures environ. Je crois pouvoir compenser mon manque d’« affutage » par une meilleure préparation mentale. Après neuf marathons, je mesure mieux la douleur de l’effort, et surtout, je me connais bien mieux ! Et puis, depuis mon premier marathon, le chrono n’a cessé de baisser : 3heures 45 aux Vignobles d’Alsace, 3 heures 30 à Paris, 3 heures 20 à Prague, 3heures 18 aux Yvelines, 3 heures 13 à Rome, 3 heures 10 à Budapest, 3 heures 05 à New York et enfin 3 heures et 33 secondes l’an dernier à Paris. De quoi doper mon capital confiance !

J’enfourche mon vélo pour rejoindre le RER où Nick nous a donnés rendez-vous à 7 heures. J’aperçois Céline alors que je gare mon vélo ; mais, personne en bas des tourniquets : Nick s’est trompé sur l’horaire et le RER, censé partir à 7 heures 09, part en fait dans 2 minutes ! Nous courons sur le quai ; le train est rempli de marathoniens et je renonce à retrouver la bande des Foulées. J’appelle Nadia et Didier qui devaient nous rejoindre au Pecq mais eux-aussi, ils seront dans le prochain RER… A l’Etoile, le train se vide entièrement, et je me laisse porter par le flot des coureurs jusqu’à la sortie de l’Avenue Foch.

Dans l’immense queue devant les toilettes, je retrouve Anne-Laure ; nous échangeons quelques mots mais l’heure n’est pas à la décontraction… Il reste moins de 45 minutes avant le départ et il est temps de se mettre en short. La température est encore fraiche et je décide de garder un vieux sweat. Au moment de laisser mon sac au vestiaire, je m’aperçois que j’ai oublié de prendre avec moi les deux gels que j’avais préparés pour « au cas où ». Je les glisse dans ma poche : ils ont un côté rassurant même si je suis presque sûre qu’ils ne vont pas me servir.

La foule est de plus en plus dense. Pour sortir des vestiaires et remonter jusqu’à l’Arc de Triomphe, je me retrouve bloquée dans une marée humaine et je tombe nez à nez avec Bruno, Fabrice, Régis et Mohamed ! Nous parvenons à nous dégager et nous trottinons jusqu’au départ. A l’entrée du SAS « préférentiels », Gérard Cornu de la CDCHS me reconnaît et m’encourage. Une seule toilette dans ce SAS pour une foule interminable qui s’impatiente. J’aperçois James, tendu, qui a visiblement le même problème technique que moi ! Avec deux autres féminines, nous nous improvisons un coin toilettes privatif avec les moyens du bord. On annonce le départ des handisports. Il faut vite que je me débarrasse de mon sweat. J’ai à peine de temps de souffler que, déjà, le coup de pistolet retentit : je n’aurai pas eu le temps cette fois de « savourer » l’émotion du départ ! Les champs Elysées se mettent en mouvement. Je passe sur le tapis et déclenche mon chono : c’est parti pour 42 kilomètres !

J’aperçois devant moi la brassière bleue d’Anne-Laure ; je suis tentée d’accélérer pour la rattraper mais je sais que je vais le payer très cher ensuite ; aussi, je reste à « sagement » à mon rythme, même si ce terme n’est pas tout à fait approprié : 3’50 pour le premier kilo, 4 minutes pour le second, c’est beaucoup trop rapide pour moi, même en descente. Concorde, Rue de Rivoli, Hotel de Ville : les lieux me sont familiers. Bastille, j’entends la maman d’Anne-Laure sur la droite qui m’encourage. Kilomètre 10 : 41’40 : je suis enfin calée au bon rythme même si j’ai conservé mon avance du départ. Nous nous dirigeons maintenant vers l’entrée du Bois de Vincennes. Kilomètre 12 : une ampoule sous le pied gauche commence à me faire bien souffrir. Mes mizuno n’ont plus aucun amorti. La même ampoule s’était produite au semi de Rambouillet et j’ai quand même fait la bêtise de prendre le départ avec ….

Instinctivement, je modifie ma foulée ; je ne pourrai pas courir sur les pointes avec cette douleur pendant encore 30 kilomètres. Du coup, la douleur sous le pied s’estompe mais le mouvement de jambes que j’ai adopté ne doit pas être aussi naturel car ce sont maintenant les jambes qui durcissent ! Je dégoupille sans hésiter mon gel anti-crampes et je guette avec impatience le prochain ravitaillement. La crampe disparaît. Je me sens sortie d’affaire et je peux à nouveau « dérouler » correctement. A la sortie du Bois de Vincennes, un peu avant le passage du semi, les spectateurs ont formé un long passsage assez étroit où l’ambiance est électrique. Effet dynamique garanti ! Je passe sous l’arche du semi en 1’27’50. J’ai conservé plus d’une minute d’avance sur mon plan de course et c’est bon pour le moral. Une légère côte, puis nous approchons des quais de Seine avec ses passages de tunnels. Je reconnais Marie-Pierre qui m’encourage. A droite, le Jardin des Tuileries où nous allons nous entrainer le midi avec Anne-Laure. Je mesure assez précisément la distance à parcourir jusqu’au Trocadéro. Passage sous l’arche des 30 kilomètres. Encore de l’ambiance et des encouragements qui vont droit au cœur.Tout va bien. Nous longeons encore les quais de Seine puis l’Avenue de Versailles.

Et là, subitement, ça ne va plus du tout : j’ai comme un voile sur les yeux ; mes jambes vacillent, je sens que j’arrive droit dans le « mur ». Baisse de glycémie caractérisée… Pas de panique, il me reste encore un gel pour « au cas où ». Mes gestes sont très désordonnés et il me faut une éternité pour parvenir à extraire de ma poche le gel « énergie intense » qui doit absolument tenir toutes ses promesses ! Nous sommes au kilomètre 32 : il n’est pas question que j’attende le prochain ravitaillement pour avaler ça. J’absorbe sans hésiter une bonne moitié de cette pâte gluante au goût fruits rouges ; c’est écoeurant au possible. Mon obsession, désormais, c’est boire, au plus vite… et çà me fait avancer sans réfléchir. Kilomètre 33, kilomètre 34, …ravitaillement dans 200 mètres. Je vide goulument une demi-bouteille d’eau et je me verse le reste sur la tête. Quel soulagement ! Nous sommes à l’endroit où s’étaient postés Gérard et Françoise l’an dernier. Je ne les ai pas encore vus… mais je n’ai plus trop la force de regarder sur les côtés. Je crois reconnaître la voix de Nicole ? Pas sûre. Kilomètre 36 : nous sommes sortis du Bois de Boulogne et nous allons longer l’hippodrome. Kilomètre 37, ça n’en finit plus ! Je ne pense plus qu’à une seule chose désormais : le moment où je ne vais plus avoir à courir. Juste devant moi, je crois reconnaître la brassière bleue d’Anne-laure. Oui, c’est elle, et elle a l’air de serrer les dents. je l’encourage du mieux que je peux. Son coach nous double en scooter « Allez les filles, plus de quatre kilomètres, tenez bon ». Je ne sais pas pourquoi, j’en avais compté cinq ! On entre à nouveau dans le Bois de Boulogne. On longe le petit Lac. Kilomètre 40 : c’est là que Cyril m’avait accompagnée l’an dernier sur quelques mètres, là aussi que les ballons des trois heures m’avaient doublée…D’ailleurs, ils ne m’ont pas encore doublée. je ne sais plus trop où j’en suis de mon chrono ; mes temps de passage se sont effacés avec la sueur et ne forment plus qu’une grosse tache verte. Kilomètre 41 : « 2’55’00 » me crie le coach d’Anne-Laure quand je passe devant lui. Puis j’entends d’autres spectateurs sur le côté qui nous crient « Allez les gars, c’est encore jouable pour les trois heures ! ».

Mais je ne peux pas aller plus vite. On longe le Lac Supérieur puis on se rapproche de la Place Dauphine. Je connais chaque mètre de cette fin de parcours. Kilomètre 42 . Je vois Gérard Cornu qui gesticule : « Allez Mireille ». Un coup d’œil à ma montre : 2’59. Il me reste 0,195 mètres, moins d’un demi-tour de piste ! Je donne tout ce que j’ai pour franchir ces 200 derniers mètres. L’ambiance est survoltée dans cette montée de l’Avenue Foch. Des enceintes s’échappent le hurlement du speaker : « Qui-est-ce qui bat son record aujourd’hui à Paris ? ». Je franchis la ligne d’arrivée, hors d’haleine, les yeux rivés sur l’immense chrono : 2’59’44. Je m’accroche à la barrière, épuisée. Quelqu’un s’aperçoit que je ne suis pas au mieux de ma forme et appelle la Croix Rouge. Je suis dirigée vers une tente où je resterai allongée une bonne demi-heure…

La veille de la course, le Journal le Parisien publiait un article sur le Marathon de Paris dans lequel était écrit : « un vrai marathonien est un coureur en moins de trois heures ». J’avoue ne pas comprendre le sens de ces propos. Chaque « finisher » est un marathonien et je ne me sens pas plus marathonienne qu’il y a quinze ans. La fierté d’avoir vaincu la distance et l’émotion sont les mêmes. La barre des trois heures, c’est la cerise sur le gâteau…

 

 
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