« Ma Diagonale » par François Mignon

« Ma Diagonale »

Par François Mignon

Depuis un an et un mail, je me suis fixé comme objectif cette fameuse diagonale. Pourquoi tant de précipitation ? Parce qu’on ne sait pas ce que la vie nous réserve et je suis bien placé pour le savoir. Mon mail n’a pas reçu pour diverses raisons d‘échos auprès de mes compères habituels les « tontons traileurs », j’ai donc décidé de partir sans eux qui ne peuvent pas m’accompagner dans cette aventure cette fois.

En fait c’est comme un repérage, je suis sur qu’on ira tous ensemble un jour. C’est donc un peu égoïstement que je vais aller en éclaireur affronter cette montagne issue des eaux à l’autre bout du monde. Donc d’abord les étapes de la préparation, dont beaucoup n’ont pu être menées à leur terme !  J’espère que la malédiction va s’arrêter là !

D’abord l’Ecotrail en mars auquel j’ai du renoncer du fait d’une tendinite achilléenne qui m’a imposé un arrêt de la course pendant 6 semaines, ensuite l’ardéchois en mai que je n’ai pas couru car je n’avais pas repris l’entrainement pour une telle course.
Ensuite ce fut plus réussi en juillet à Verbier (14h47 d’efforts en suisse (grâce à José et Columbia) qui fut une belle épreuve, commencée par un soleil torride, puis sous l’orage et la neige, terminée dans le froid et la nuit.
Au matin, nous avons accueilli Francky, le seul qui a réussit à finir la boucle (110 kms).
En aout, la météo n’a pas été non plus favorable pour la CCC qui a été interrompue à 18 kms de l’arrivée, nous frustrant d’une entrée triomphale dans Chamonix, mais 80 kms+5000 D+ quand même.
 
Trois semaines de vacances à la montagne à faire de la rando, des sorties longues avec les plans en vue des templiers et surtout ne pas se blesser ont été les indispensables préparations.
Quelques expériences passées (la Saintelyon en solo, l’intégrale du GR20, les Templiers) me permettent  d’envisager de finir cette fameuse diagonale. En même temps, sur la carte, en regardant le tracé du dénivelé, en additionnant les chiffres (163km et  9643m de D+), même en utilisant le logiciel d’approximation des performances qui est concordant avec mes prévisions (50 heures de course, 9 heures de repos) pour 66 heures limites, la course reste une inconnue…on verra bien sur place…

 

Reste le sac à faire, en choisissant méticuleusement chaque chose à emporter ou à renoncer de prendre et en espérant ne rien oublier !
La pression monte avec les incertitudes sur le vol (il manque du Kérosène à Orly ?)
Le retour du Chikungunya , un incendie dans la foret du Maïdo et avec l’éruption du volcan qui se réveille pour notre venue !
La présence de Kilian Jornet dans le même avion que moi, l’ambiance à St Denis le mercredi pour la remise des dossards, l’excitation de la veille, du sac à faire où chaque gramme compte (mais au final je prends de quoi survivre à beaucoup de situations…) le bus vers St Philippe (Cap Méchant) le jeudi.

Rien à faire, inutile de prendre mon ordinateur, je ne taperai rien pendant la course…donc bien que ceci soit censé relater la course, le récit ne peut être qu’écrit qu’à posteriori. Par contre, je ferai une petite vidéo à plusieurs reprises histoire de donner l’ambiance.

Le départ à la frontale à 22 heures (il est 19 heures en métropole…non 20 heures me rappelle Jérôme par un texto) de St Philippe pour l’ascension de 2000 m du volcan en espérant qu’il ne dégouline pas trop de lave…

Mais c’est au petit matin seulement, après avoir pas mal piétiné (et oui trop de raideurs tuent le raid) que j’atteins la crête
du rempart où en me retournant le spectacle de l’éruption est sublime. Quelques photos et je repars vers le point culminant de la course à près de 2985 mètres, le piton textor.
Bien que ce soit le point culminant, la suite ne sera pas une longue descente mais bien une multitude d’alternance de cotes sévères et de descentes tout autant me faisant traverser la foret de Belouve puis le cirque de Salazie à moitié sous la pluie avec comme dernière difficulté le cap anglais(1100 m D+) vers le deuxième point culminant au pied du piton des neiges, la cabane Dufour à 2470 m que j’atteins à la nuit puis on bascule vers le deuxième cirque : celui de Cilaos avec 1300 m de descente avec un fantôme (une hallucination ?) qui s’avère être un raideur dans sa couverture de survie… ;)

La première nuit sans sommeil s’était passée sans problème, la deuxième se passe moins bien.
A peine arrivé au stade à Cilaos, alors qu’un texto m’informe que Killian Jornet vient d’arriver en 23h17, je me couche dès mon arrivé sur un lit de fortune sans plus attendre, j’ai prévu plusieurs heures de sommeil à cet endroit avant d’attaquer le col du Taïbit et ses 1200 m de D+…

Au bout d’une demi heure, réveil brutal par des tremblements intenses de froid…trempé de sueurs, il aurait fallu que je me déshabille et que j’enfile de nouvelles affaires sèches…erreur que je me dis pouvoir rectifier en allant prendre une douche chaude dans ce fameux stade…l’eau chaude est en option, il n’y a qu’une douche glacée qui réveille et ôte toute envie de se recoucher, donc je repars vers le col avec une démarche de zombie.

J’atteins ce col au petit matin et descend vers Mafate où dès le matin la chaleur est éprouvante. Dès que le jour se pointe, l’envie de dormir disparait instantanément. Vers midi, j’atteins l’ilet des orangers avec un état de surchauffe évident et arrive à trouver un abri où je m'octroie une demi-heure de sieste.
Ensuite, et depuis Hellbour ce sont mes pieds qui me font souffrir avec des échauffements/ampoules qui vont me gêner malgré les différentes crèmes dont je les tartine fréquemment (sans hésiter je sais maintenant après les avoir testées que la meilleure et la seule à mettre est la NOK), le changement de chaussures que j’ai effectué à Cilaos et les différentes paires de chaussettes que je change régulièrement…malgré tout j’atteins le site de deux bras.
Là, un peu présomptueux, je contacte ma femme et ma sœur pour qu’elles me rejoignent en début de soirée à « La possession » que je n’atteindrais au final que vers 21 heures. Cajolé par toutes les deux avec un bon massage et des pieds remis à neufs, je m’endors sur la table de massage pour deux bonnes heures.

Départ pour la troisième nuit avec une avance sur mon horaire théorique puisqu’en fait je n’ai dormi que trois heures  et demi depuis 3 jours…avec une euphorie liée à la disparition des échauffements mais le sentier des anglais me rappelle rapidement à la réalité : il s’agit d’une portion pavée de près de 10 kms où aucune pavé n’est plat mais au contraire toutes les pierres sont rondes, aucun endroit pat pour reposer le pied !
Ne jamais faire confiance aux anglais pour un pavage…cela dit celui-ci date de deux siècles et ceci explique peut être cela…
Ensuite dernière montée vers la montagne du Colorado…
Là un phénomène se produit avec une multiplication de chiens qui bordent le sentier et qui disparaissent en fonction de mon avance sur le sentier pour être remplacés par des cailloux…un autre phénomène est la visualisation des petits points phosphorescents sur les chaussures du concurrent situé devant moi : au début de la course, il faisaient un mouvement rectiligne lié aux mouvements des jambes en ciseaux en début de course…à la fin, ils font un zigzag.

Ce phénomène est en fait lié au fait que c’est moi qui marche en zigzag comme si j’étais saoul…
C’est quand j’ai vu cette montgolfière en forme de soucoupe volante que j’ai pris conscience qu’un arrêt était indispensable…
Je me suis donc arrêté pour une petite heure de sommeil dans une tente dont le vent voulait la soulever en permanence.

Ensuite, l’esprit un peu plus clair, (et donc plus d’hallucinations), je suis descendu lentement vers le stade de la redoute, à la rencontre de ma femme et de ma fille pour passer la ligne d’arrivée en 59 heures piles comme prévu pour qu’on passe la ligne d’arrivée ensemble…
avec l’interview immédiate par un caméraman : Votre pire cauchemar ?
Réponse immédiate : les détritus sur le parcours jeté par les coureurs devant moi et que je ramassais mais il m’aurait fallu des sacs poubelles entiers ! En particulier les gobelets retrouvés à des kilomètres des ravitaillements et qu’il faut proscrire des trails !
Et votre meilleur souvenir ? L’enthousiasme, le soutient du public, des bénévoles et des coureurs entre eux.

Ce n’est donc que 3 minutes plus tard que j’ai pensé à rendre la puce pour interrompre le chrono officiel. 9656 m de dénivelé, 162,8 kms parcourus en 59 heures et 3 minutes dont 3h30 de sommeil seulement à la place des 9 prévus (un peu limite vu les hallucinations de la troisième nuit..). Il me faut avouer que la première chose que j’ai faite après la ligne d’arrivée a été de boire une bière locale bien fraiche…à 9 heures du matin !



Puis une double portion de poulet carry/riz, que j’ai trouvé la meilleure du monde…
Par contre j’ai été un peu déçu par le tee shirt  mythique « j’ai survécu » car en coton, pas en tissu technique donc inutilisable en course!...
Ensuite se sont confirmées les rumeurs entendues dans la course sur le nombre majeur des abandons (1100 sur 2555 ayant pris le départ soit 40 %) faisant encore plus apprécier d’être sur cette ligne d’arrivée.

Jamais la Diagonale des fous n’aura aussi bien porté son nom. La 18ème édition du Grand Raid est unanimement reconnue comme particulièrement difficile avec un parcours plus long et des sentiers très techniques.
Ensuite nul n’est nécessaire de décrire une semaine dédiée à la récupération dans une ile paradisiaque …
même si j’ai refait de la rando, histoire d’aller voir ce volcan d’encore plus près entre autres.
Le plus étonnant aura été l’absence de courbatures et de crampes que j’attribue à mon rythme lent mais régulier, une bonne gestion de l’hydratation et de l’alimentation.

PS : Merci pour tous les messages d’encouragement d’avant, de pendant et d’après course !!! Sans votre soutient je n’aurai peut être pas été au bout.

 

 
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