Les Templiers 2008

 Par Natanaël Wright

 Nant

Je ne me souviens plus de la montée. J’étais en mode coma avancé.

Ai-je fait la même course que Jean-Claude ? A la lecture de son récit je me le demande…

Ces 72 km ont été une magnifique…galère. Comparez les récits, les différences de perception sont frappantes.

05h00 du matin, je cherche vainement le FSGL dans la foule. Laurent est en messagerie ainsi que tous les autres.

05h10, le stress monte un peu. Je ne trouve pas d’eau pour humidifier mon cardio. Courir sans cardio, tout le monde le sait bien, je ne sais pas faire. Mon oncle, qui court avec moi à 61 ans (…) me montre la fontaine du village. Je plonge mon cardio dedans et me rassure quelque peu.

05h15, c’est parti ! Belle émotion. La musique, les fumigènes, le public, tout est à la hauteur de ce stress qui me saisit. Et si j’avais un peu présumé de mes forces. Après tout, je n’ai jamais couru plus qu’un marathon avant ce trail…

Le peloton part lentement sur une base de 8 à 10 km/h. Nous courons sur route, de nuit, éclairés par les milliers de lampes frontales obligatoires. J’éteins ma loupiole et y vois encore comme en plein jour.

Au bout de quelques kilomètres nous quittons le bitume. Le trail commence.

La pente monte doucement. Quelques minutes plus tard j’aperçois au loin des phares de voitures garées au loin. Je suis impressionné : autant de phares, autant de spectateurs si tôt le matin, ça c’est de l’organisation. D’autant qu’elles sont garées beaucoup plus haut que nous. Les spectateurs ont du descendre une belle petite côte. C’est sympa tout ça.
Je continue de courir. Pas de bouchons mais un long serpentin de coureurs courant en enfilade. Puis soudainement, virage à 90°. Tout le monde tourne et… grimpe. Ce que je pensais être des voitures n’était que le flot de loupioles devant moi. De voitures, il n’y en avait pas.

A partir de maintenant, un peu d’indulgence. Le manque d’oxygène aidant, mes souvenirs se mélangeront peut-être. Je suis ébahi par la clarté du récit de Jean-Claude et sa mémoire des différentes difficultés. Comme à mon habitude, je me suis vite plongé dans une sorte de coma actif, concentrant toute mon attention sur mes prochains pas et essayant d’oublier toute notion de temps qui passe.

J’ai en tête néanmoins de fabuleuses images de mer de nuages plus bas dans la vallée, de lever de soleil sur les Causses et de chemins faciles à courir. Tout va bien pendant ces 2 premières heures, le trail semble roulant et l’allure tout à fait acceptable.

Le premier ravitaillement (en eau uniquement) arrive dès le 13 ou 15ème kilomètre, je pensais qu’il était au 22ème. Les pertes de repères commencent.

03h42 de course, 29kms… Dire que normalement le marathon est fini depuis 22 minutes… Nous montons sur Saint Guiral, c’est du moins ce que mon voisin qui me le dit car, pour ma part, je n’ai plus aucune idée d’où nous sommes. J’ai un seul but en tête : le ravaitaillement du 37ème kilomètre.

J’essaie de penser à manger une barre énergétique toutes les demi-heures mais vu le coup de fatigue qui me frappera de plein fouet au 40ème, j’ai dû en oublier quelques unes.

En haut de Saint Guiral les ennuis commencent. Mon genou droit commence à me faire mal. Cela ressemble à un début de tendinite. La douleur devient omnibulante : vais-je tenir ? Est-ce raisonnable ? Vais-je me foutre en l’air le genou ? Dois-arrêter ? Pourquoi mes semelles frottent-elles sur mes plantes de pieds ? Vais-je avoir des ampoules ? Tendinite et ampoules… Ampoules et tendinites… Le cerveau se met à gamberger. Une seule solution, se mettre en pilote automatique et continuer.

Je ne me souviens plus de la descente, sinon que chaque pas faisait un peu plus mal à mon genou.

37ème km, nous arrivons enfin au ravito. Que faire ? Récupérer longuement ou repartir ? Je commence à être sérieusement fatigué. Je mange rapidement quelques raisins secs, du roquefort, des barres chocolatées et fais le plein d’eau.
Je rencontre un de mes collègues de bureau qui semble en pleine forme. T-shirt de champion de France de course d’orientation (à l’effigie de la société s’il vous plait), bâtons dans les deux mains, en voilà un que je ne reverrais pas de si tôt. Il me demande si je suis en forme car…les vraies difficultés vont commencer ! Et moi qui naïvement pensait que j’avais vu le plus dur.

Laurent et José m’avaient bien prévenu qu’il fallait arriver au 50ème assez frais. Je n’en suis qu’au 37ème et suis assez limite.

Je repars et me prends la côte du Suquet de plein fouet. Impossible de courir, ça monte, ça fait mal aux jambes. Je suis fatigué, j’ai le moral dans les baskettes, j’en ai marre de cette course. Le soleil tape, je tire sur mes réserves. Heureusement que j’ai fait le plein d’eau car je bois toutes les cinq minutes. Je trouve toutes les excuses possibles pour m’arrêter : pause pipi, pause barre énergétique, pause paysage… toutes les pauses sont les bienvenues. Sauf que le flot de coureurs passe sans discontinuer. Mais comment font-ils pour marcher aussi vite ? Ca passe à gauche, ça passe à droite, et moi, je m’accroche. Je peste contre la pente, contre les organisateurs, contre le monde entier. Ca fait du bien.

Au ravitaillement j’ai enlevé mon coupe vent. Les spectateurs voient enfin mon dossard et peuvent scander mon nom. Mais même cela ne me donne pas beaucoup plus de forces. Vous l’avez compris… je suis vraiment dans le dur. Et cette côte qui n’en fini pas de monter, de tourner, de remonter…Je me demande si je ne viens pas de taper le mur car je suis totalement à côté de la plaque.

Puis Fred me rattrape. Mais qu’est-ce qu’il a mangé ? Il grimpe comme un cabri et me dépose sur place après avoir échangé quelques mots. 10m, 20m, 50m le voilà parti. Il va falloir se ressaisir.

Les mauvaises nouvelles ne s’arrêtent pas là : la descente est pire que la montée. Pas de chemin mais un simple parterre de pierres invisibles recouvertes de feuilles. Bizarrement mon genou ne me faisait pas mal en montée et j’avais fini par l’oublier celui-là. Mais en descente c’est tout autre chose. Encore 30 bornes à tenir , cela semble très très loin.
Je me dis que le ravitaillement n’est plus que dans une dizaine de kilomètres et m’accroche à cette idée. Je boite de plus en plus, compense au maximum sur le genou gauche et regrette de ne pas avoir pris de bâtons. Cette descente n’en fini pas. J’ai compris : il me faut des montées ! Encore trois. Disons 20 bornes au total pour seulement 10 bornes de descente, il faut positiver nom d’un chien.

Vous l’avez constaté, Jean-Claude n’a pas fait la même côte du Suquet que moi. A mon avis, il a fait de l’auto-stop, ou a pris le tire-fesses. Après tout, selon lui, elle monte gentiment et cette côte, à tel point qu’il « l’aime bien »… A le lire, on dirait un vieux couple. Et bien moi je dis : chapeau Jean-Claude, car cette côte, c’était l’enfer du début à la fin.

Enfin à Trêves, je suis à bout nerveusement. Je vais enfin pouvoir courir un peu. Oui…150m, et c’est reparti pour une montée. Mais elle est où la trêve ?

Je ne me souviens plus de la montée. J’étais en mode coma avancé.

52ème km, enfin le ravitaillement. Dans la montée mon téléphone a retenti pour m’indiquer que la batterie était aussi fatiguée que moi. Je décide donc d’appeler la maison pour les prévenir qu’il ne reste plus que 20 bornes. Et là les nerfs craquent. Les yeux se mettent à pleurer à grosses gouttes. Je suis incapable de parler normalement et suis obligé de prétexter un essoufflement pour laisser passer les hoquets dans la voix.
Ma femme à l’autre bout comprend vite qu’il y a un problème et me dis d’arrêter. Rien de tel pour me convaincre de continuer . Je n’allais quand même pas abandonner à 20 bornes de l’arrivée.

Je ne me souviens plus des cinq kilomètres de plateau avant la descente sur St Sulpice. On doit en être à 7 heures de course et visiblement mon cerveau concentre mes forces restantes sur l’essentiel.

En revanche, je me souviens arriver au pied de la côte de Cantobres et de voir, loin très loin, haut très haut, un fabuleux sommet en forme de roc. Il n’était pas possible que nous montions aussi haut. Nous devions forcément passer en contrebas. Je me souviens avoir dit à mon voisin du moment : « ils ne vont tout de même pas nous faire monter là haut !... », ce dernier m’a souri en guise de réponse. Et nous voilà partis pour une interminable et magnifique montée. Quel spectacle une fois là haut. Mais quelle galère pour y arriver.
Aux quatre cinquièmes de la montée nous atteignons un premier palier. L’espoir renaît : j’avais raison, nous allons contourner ce magnifique roc. Le point de vue est fabuleux et nous pouvons enfin courir sur du plat. Il n’en fallait pas plus pour me regonfler à bloc : plus de montée, plus de descente mais du bon vieux plat…pendant 400 mètres…

Ce sont les Templiers ou non ? Les 72 oui ou non ? Alors ce roc, on va se le faire !

Après trente minutes de montée, nous rencontrons deux Gentils Organisateurs qui nous crient qu’à la tente nous ne seront plus qu’à 4 kilomètres du ravitaillement et que nous sommes les meilleurs. J’en profite donc pour leur demander combien de temps il y a jusqu’à la tente. Ils me répondent, qu’à notre rythme là, il faut compter 30 minutes… Et moi qui pensait que nous étions arrivés au sommet. Ce n’est plus une course. C’est une vraie galère.

Comme toujours, la tente fini par arriver… Il suffit de patienter assez de temps, c’est tout.

Si la montée était sympathique, la descente sur Cantobres ne l’était pas moins. Des racines, des rochers partout, des cailloux, des trous de 80cm. Je me console en me disant que le parcours a été considérablement durcit par les organisateurs cette année, et que nous sommes dans une vraie course d’hommes… La belle affaire…

La douleur au genou devient très pénalisante. Je boite bas, essaie de ne pas plier la jambe et sautille donc à chaque pas.

Je me souviens aussi d’une descente très désagréable pour mon genou dans une forêt humide avec un sol détrempé, mais je ne sais plus où la situer. Etait-ce celle de Cantobres ? Celle de St Sulpice ? Je me souviens de zigzags tous les 3 à 4 mètres, de terrain très glissant. Peut-être était-ce la fin de Cantobres, il faudra demander à Laurent, l’homme pour qui cette épreuve a été tout spécialement tracée (9H20, je n’en reviens toujours pas, quel exploit).

Enfin le 65ème, ou le 62ème ou peut-être le 67ème. Une seule certitude , c’est le dernier ravitaillement et un ravitaillement bien mérité. Plus que 7 bornes. Un jeu d’enfant pour tout valeureux membre du FSGL. 2 bornes de montée, 3 de plat, et 2 de descente nous dit-on et déjà environ 10 heures de course…

Je me prends à espérer finir en moins de 11h00, jusqu’aux premières pentes du Roc Nantais. Là nous passons à la version escalade. Des marches de 1m20 à franchir, un terrain détrempé, bref, le 7km/h va être difficile à tenir. Et cette nana qui me grille sans me laisser la moindre chance.
Ces 7kms vont être plus compliqués que je ne les imaginais. D’autant que les 2kms de montée se transforment en 3 à 4 kms, même si la pente deviendra acceptable sur la fin.
Dommage, moins de 11h00, ça « l’aurait fait » comme dirait l’autre. Je fais mes petits calculs mais il me faudrait courir à 12km/h les 5 derniers kms pour finir en moins de 11h00. 12km/h ? Impossible en descente vu l’état de mon genou. Ce sera donc 11h10 environ, ce qui est tout de même pile dans l’objectif fixé de faire entre 10h et 12h. Sur une jambe, avec le cerveau qui ne fonctionne qu’à moitié, je m’en contenterai sans aucun problème.

Comme toujours les derniers kilomètres n’en finissent pas. Des gamins nous crient qu’il ne nous reste plus que 4kms. Regard furtif à ma montre, pour moi il en restait 5. « Vous êtes surs ? » « Oui, 4kms ». Plus que 4kms, c’est presque fini. 5 minutes plus tard nous rencontrons autre Gentil Organisateur qui nous dit « plus que 4km700 » et là ça fait mal, d’autant qu’il nous certifie la distance.

Mais bon, plus rien ne nous arrêtera maintenant. Sauf peut-être cette double chute à 15 seconde d’intervalle… Il est temps que tout cela s’arrête.

Plus qu’un kilomètre… Le plat revient. Puis la voix du speaker au loin enfin, non , tout prêt. Il s’époumone : « encore 15 secondes pour finir en dessous des 11h00 ». Je regarde au loin pour estimer à quelle distance se trouve l’arrivée, tout en étant étonné d’être si près des 11h00. Visiblement les calculs de tête après 11h00 de course sont plutôt approximatifs. Puis je regarde ma montre et vois 10h59m01s. Et oui, je viens de me souvenir que j’ai mis une minute à franchir la ligne de départ. Les 11h00 sont donc à ma portée. J’accélère soudainement. Dernier virage et l’arrivée est déjà là. Je passe en 10h59 et 21 secondes, complètement cassé, mais HEUREUX.

Comme Jean-Claude, je pense m’être promis que cette première serait ma dernière. Je n’en suis plus tout à fait sûr.

 
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